Nous nous réveillons très lendemain de veille ce matin. C’est l’estomac à l’envers et avec la tête qui bourdonne que nous prenons place dans la minivan. Heureusement, la route vers Banlung est flambant neuve et ne dure que trois heures. Nous partons vers 7h30 et nous dormons tout le trajet.
En arrivant à Banlung, nous sommes encore une fois encerclés de toute part par des vendeurs de tours guidés et des chauffeurs de TukTuk. Puisque nous n’avons pas trop envie de niaiser ici, nous demandons à voir Tommy, un guide qui nous a été référé par Ratana. Tommy est là et un de ses collègue nous emmène dans une guesthouse au centre de la ville. Nous venons tout près d’y poser nos sacs, mais la chambre est sale et humide. Une volée de moustiques s’échappe même de l’oreiller lorsqu’on la déplace. Nous prenons donc le restant de force qu’il nous reste pour aller visiter d’autres hôtels.
Vue du lac Kan Seng depuis notre guesthouse
Nous choisissons finalement une guesthouse un peu plus dispendieuse avec vue sur le lac Kan Seng. Dans notre état, nous préférons un petit nid confortable. Nous allons ensuite marcher au centre-ville pour se donner l’impression d’avoir fait quelque chose de notre journée. La visite du marché ne fait qu’aggraver la situation. Les échoppes de viande à découvert et les poissons qui sèchent au soleil nous donnent la nausée. Il y a du monde partout, ça bourdonne. La circulation est étourdissante. Nous avons perdu l’habitude des grands centres et aujourd’hui d’entre tous les jours n’était pas le meilleur pour s’y replonger. Nous prenons un bubble tea comme repas et nous sauvons vers les rues moins fréquentées. Nous en profitons pour magasiner un peu les Treks dans la région. Tommy, l’ami de Ratana, nous avait paru un peu « vendeur de chars » à première vue. Nous voulons voir d’autres options.
C’est là que nous tombons sur Horng (prononcé Hong), une jeune mère de famille qui gère une guesthouse et une petite business de trekking avec son mari. Elle et son adorable bout de chou nous font craqués et nous bookons un trek dans la jungle avec eux. Le départ est prévu le surlendemain. Ça laissera le temps à nos jambes de bien se remettre du trek de Sen Monorom avant d’en affronter un autre. Nous rentrons à la chambre avec la ferme intention de s’écraser sur le lit et d’avoir une longue nuit de sommeil. Ouais, décidément, on a plus vingt ans.
Nous n’avons pas mis de cadran. quelle bénédiction! Nous sommes de nouveau frais et dispos pour de nouvelles aventures. Nous avons une journée à tuer avant la randonnée. Nous en profiterons pour visiter les environs de Banlung. Nous louons un scooter pour se rendre jusqu’au lac Yeak Laom. Le lac forme un rond parfait de 750 mètres de diamètre. La légende dit que ce serait le cratère d’un volcan éteint vieux de 700 000 ans. Bien que sacré, Le site est emménagé en parc touristique. Il y a plusieurs quais qui avancent sur l’eau et d’où les gens se baignent. Il y a un centre historique avec des huttes traditionnelles où les touristes se photographient en costumes indigènes. Pas trop notre tasse de thé. On décide de laisser faire et plutôt de suivre le sentier de 2,5 kilomètres qui contourne le plan d’eau. C’est quelque chose que vraisemblablement très peu de gens font, car nous sommes seuls presque tout le trajet.
Lac Yeak Laom
Après la marche de santé, nous regardons les enfants se baigner au son des mélodies d’un guitariste en herbe qui joue pour ses camarades. C’est très relaxant. Nous repartons de là pour aller voir une chute à quelques kilomètres de là. Le chemin suit des champs d’arbres à caoutchouc. Des kilomètres et des kilomètres d’arbres à caoutchouc. La région est nouvellement reconnue pour ses usines de rubber. La chute se trouve au bout d’un long chemin de terre peu entretenu et assez casse-cou. Nous nous rendons tout de même sans problème, mais nous avons l’équivalent d’une plage de Cancún en sable dans nos souliers. Ka Teang est un peu décevante. Surtout après la route pour s’y rendre. C’est une chute d’une dizaine de mètres qui tombe dans un mignon petit bassin, mais sans plus. Peut-être aussi qu’on commence à en avoir vu beaucoup pour s’émerveiller complètement devant chacune d’elle. Toujours est-il que la route difficile et notre faible enthousiasme face à cette cascade nous convainquent de couper court à notre visite. Nous retournons au centre-ville pour donner une deuxième chance au marché qui nous a tant écoeuré la veille. Quelle bonne idée. Le sentiment est complètement différent. Nous parcourons toutes les ruelles et racoins du marché à la recherche d’images et de moments spéciaux.
Chute de Ka Teang
Plantation d’arbre à caoutchouc
Les odeurs qui nous avaient dégoûtés nous creusent maintenant l’appétit. (Pas toutes quand même) nous étirons un peu le temps en errant partout dans la ville. C’est que nous voulons profiter du lift de Horng vers sa guesthouse où nous dormirons ce soir en prévision de la randonnée. Elle ne ferme boutique qu’à 20 heures. On décide ensuite d’aller manger au Green Carrot. C’est un restaurant de bouffe khmer traditionnelle, mais occidentalisée un peu. Disons simplement qu’il ont fait un travail sur l’ambiance et la présentation. Ce n’est pas le cas des restos cambodgiens typiques. Nous y mangeons un nouveau plat typique khmer, le amok de poisson. C’est un curry cuit dans des feuilles de banane. Un vrai régal.
Marché de Banlung
Rue du village
Nous allons rejoindre Horng à sa boutique et quittons vers sa guesthouse. Dans la noirceur presqu’absolue, le TukTuk nous conduit sur des chemins de terre cahoteux. Il faut vraiment avoir entendu parler de l’endroit avant pour y venir. On pourrait difficilement atterrir ici par hasard. Le chauffeur nous descend au pied d’un long escalier en bois dont les marches sont de hauteurs et de longueurs différentes. Tout en haut de la colline est juchée la maison de Horng. De fabrication très modeste, mais avec un charme certain, des bungalows sont cachés derrière la terrasse principale qui tient lieu de restaurant. Notre bungalow est en fait une toute petite hutte en triangle avec la base grosse comme un lit double. La salle de bain et/ou la douche est précaire et partagée avec les autres chambres. Heureusement, nous somme les seuls clients ce soir. À le lire comme ça, ça sonne peut-être horrible, mais l’endroit est propre et adorable dans sa simplicité. Le mood s’y prête. On est bien. De toute façon, le temps de s’installer il est déjà l’heure du lit.
Notre Bungalow au Tree lodge Guesthouse
Une minivan passe nous prendre chez Horng et nous emmène à sa boutique. Nous sommes attendu par sept autres marcheurs et notre guide Bunta. Nous formons une belle brochette internationale avec deux anglaises, deux français, deux allemands et une polonaise. Tout le monde nous rejoint à bord et nous partons pour une balade d’environ une heure jusqu’à Kachon où nous attendent des barques. Les longs bateaux de bois nous emmènent ensuite au départ du sentier aux alentours de Kaoh Peak une heure plus loin. C’est là que nous rejoignons nos deux rangers locaux. C’est deux gars d’un village voisin qui connaissent le coin comme le fond de leur poche. Malheureusement pour nous ils ne parlent pas l’anglais. C’est Bunta qui sert d’interprète.
La moitié du groupe dans une barque
Bunta nous propose une baignade dans la rivière Se San pendant qu’il prépare notre repas. Il dit qu’on est mieux de se rafraîchir tout de suite vue le chemin que nous aurons à parcourir après le dîner. On a pas trop de misère à le croire. Il fait super chaud et la jungle sera humide. Il y aura une chute où nous campons ce soir, mais ça semble encore très loin. Tout le monde va à l’eau et on en profite pour jaser un peu et pour en apprendre sur les autres camarades.
Le dîner avant d’entreprendre le trek
Après le riz au porc, nous refaisons nos sacs et partons pour de bon dans la forêt. On s’enfonce dans la jungle pendant deux heures trente. Le terrain est plat et à part la chaleur, il n’y a pas trop de difficultés. Le groupe est vraiment plaisant. Le moral est bon. On déconne et on rit beaucoup. Nous arrêtons aussi faire les clowns sur une corde de Tarzan, mais avec une vraie liane. C’est super.
Lorsque nous atteignons finalement le campement, le visage de tout le monde change drastiquement. La chute rafraîchissante qu’on nous avait promise et qu’on imaginait comme l’El Dorado n’est en fait qu’un mince filament d’eau qui mouille à peine la pierre et qui se jète dans un lac stagnant. Parlez de déception. Bunta, en voyant nos mines d’enterrement, nous assure que l’eau est propre et y plonge pour prouver son point. Malgré ces efforts, personne d’autre ne se risque à sauter dans l’étang. Nous optons plutôt pour seulement se rincer plus bas sur la rivière où l’eau est un peu plus active.
La chute tant espérée…
Et nos visages de déception à la vue de ladite piscine…
Les rangers s’affairent à finaliser le campement et à installer les hamacs pour la nuit. Bunta lui commence à préparer le souper. Il nous annonce qu’il fait une soupe cuite dans un bambou. Notre dernière expérience avait été horrible. Espérons que sa recette est meilleure que celle de Vis du Mondulkiri. Pendant que tout ce branle-bas de combat à lieu, on se sent un peu inutile. On aimerait bien mettre la main à la pâte, mais on nous assure que personne n’a besoin d’aide. Tout de même, ce n’est pas trop notre genre de camping. On profite du temps libre pour approfondir avec nos nouveaux amis. Les deux anglaises sont à mourir de rire. Elles se connaissent depuis longtemps et lorsqu’elles se parlent, on assiste littéralement à un comedy show.
Bamboo soup en préparation
Lorsque Bunta nous sert la soupe, il fait déjà noir. Nous mangeons assis sur des roches et des billots de bois à la lueur des chandelles. La soupe est délicieuse et tout le monde en redemande. Ça ressemble à un curry vert au poulet. On mange ça avec du riz vapeur fait sur le feu aussi. Vraiment fameux. Et parce qu’un trek en Asie du Sud-Est n’en serait pas un sans le vin de riz, Bunta sort les bouteilles et on picole. Au courant de la soirée, les rangers qui s’étaient fait discrets jusque là, réapparaissent de nul part avec une branche sur laquelle sont empalées trois grosses grenouilles. Ils les ont fraîchement pêchées si on en juge par leur visage. C’est la collation de fin de soirée. Ils grillent les grenouilles sur le feu et, vin de riz aidant, tous le monde y goûte.
Bamboo soup au poulet, un délice!
Brochette de grenouilles prête à cuire
Plus tard, armés de notre courage artificiel et de nos lampes frontales, nous partons à la découverte de la vie nocturne de la jungle. Cette escapade de nuit nous excite pas mal. Par contre, nous sommes tellement bruyants que tous les animaux nous entendent arriver à dix milles à la ronde. Nous réussissons malgré tout à voir quelques pairs de yeux curieux brillants dans nos faisceaux lumineux. Bunta croit qu’il s’agirait d’un espèce de lémurien. On ne le saura jamais vraiment.
De retour au campement, les hamacs appellent tranquillement leur dormeurs et bientôt nous sommes seuls autour du feu avec les deux rangers. (Qui ne parlent pas anglais rapellons le) Soudainement, un son se fait entendre dans un buisson. Les rangers bondissent et lancent des roches à une bestiole qui tente de se sauver. Lancer parfait. La grosse bête reçoit un caillou sur le crâne et s’arrête net. Les grands sourires fiers réapparaissent. Les bienheureux encore debout mangerons un festin de rat sauvage.
Le plus jeune des rangers pique l’animal au bout d’un bâton et le passe dans le feu pour en brûler le pelage. Il coupe ensuite la bête en deux et l’écartent sur un bâton de bambou. Les rangers prennent aussi bien soin de retirer tous les organes et de leur réserver un autre bâton. Nous regardons la scène complément fascinés. Nous sommes comme dans un documentaire du National Geographic. C’est excitant. Pendant que le snack cuit, les rangers concoctent une sauce épicée à se rouler par terre. On y trempera plus tard des petits morceaux de rat. C’est vraiment bon. On passe un excellent moment avec ces deux hommes à prouver que même les différences de langages ne sont pas un frein au partage d’un bon repas. Avec tout ça, c’est bientôt notre tour de passer au lit.
Préparation du rat pour la cuisson. À gauche, on enlève le poil et à droite, on fait la brochette d’organes.
Vers cinq heures du matin, Bunta nous réveille pour écouter le chants des gibbons. Nous écoutons les mélodies encore bien couchés dans nos hamacs. Autour de nous, la brume cache la forêt. On ne voit que quelques mètres dans toutes les directions. Perdus en plein cœur de la jungle, la scène est surréelle. Nous retombons endormis dès que les chants s’arrêtent. (Sûrement un peu avant même)
Bon matin!
Nos lits pour la nuit
Quand nous nous levons, Bunta prépare déjà le petit-déjeuner. (Tant qu’à jouer les princesses) Il nous sert le café dans des tasses en bambou sculptées la veille. Bunta nous sert des omelettes avec une baguette de pain. Le gros camping de luxe quoi. On mange en discutant de tout et de rien. Bunta nous apprend d’ailleurs que son nom de famille est Bunty. Bunty Bunta. Ce qui ne manque pas de faire éclater de rire le duo comique d’anglaises. Le principal intéressé ne semble pas trop comprendre ce qui a de « si » drôle dans son nom, mais est bon joueur et laisse les folies suivre leur cours.
Le déjeuner nous a bien rempli et c’est tant mieux. Car dès le départ, le chemin est beaucoup plus difficile que la veille. À cause du vin, mais surtout à cause du terrain qui monte en pente raide pendant un long moment. De retour sur le plat, Bunty Bunta parsème le trajet d’histoires et de connaissances sur la jungle. Il nous parle des différentes utilisations que les locaux font des végétaux qui nous entourent. Il nous fait, entre autre, boire de l’eau d’une liane fraîchement coupée. Il nous montre aussi un arbre à colle qui, lorsqu’on met le feu dans son tronc, la sève est siphonnée vers la plaie. Les locaux utilisent cette colle pour réparer les coques de bateaux.
À gauche ce sont des water flies… oui oui c’est vivant! Et à droite, on met le feu dans l’arbre pour en récolter la sève.
Au bout de quelques heures, nous sommes de retour à la plage où nous nous étions baigner la veille. Tout le monde saute à l’eau pour se rafraîchir et pour se laver un peu. Ensuite, il nous reste encore un dernier bout de chemin avant de reprendre les barques et rentrer à Banlung. Nous allons visiter le village où vivent nos deux rangers. C’est un grand village très paisible. L’atmosphère qui y reigne est apaisante. Chantale s’amuse avec les enfants qui jouent les modèles devant la caméra. Le tour du patelin se termine par la visite de leur cimetière. Cette communauté animiste enterre les morts sous des pavillons de quelques mètres carrés conçus à l’image du défunt. Ça donne un drôle de mélange pas mal moins austère que nos cimetières catholiques.
Pas trop loin de là nous attendent les deux bateaux qui nous ramènent à Kachon. La ballade de minibus qui succède est silencieuse. Tous dorment comme des bébés malgré la route tumultueuse. Une fois à Banlung, nous nous retrouvons tous à la maison de Horng qui nous prépare une bonne soupe à partager. Un gros plat de bouillon est placé au centre de la table et nous y trempons des lanières de bœuf, des œufs, des nouilles et des légumes pour les faire cuire. Nous sommes tous suspendus aux lèvres de notre hôtesse qui nous raconte sa vie et la vie en général au Cambodge. Une superbe soirée pour bien terminer un incroyable périple au cœur du pays.
On va tous se coucher dans nos huttes relativement tôt. Nous sommes tous brûlés et pour notre part, demain nous quittons la campagne pour la ville de Siem Reap, lieu des grands temples d’Angkor.
Soupe khmer
Le petit Ratana, 2 ans. Fils de Horng et Kimmy