Les cocktails en chaudières du Temple Nightclub auront finalement eu raison de nous vers les 4 heures du matin, laissant présager un autre matin difficile. Et comme de fait, lorsque le cadran sonne deux heures plus tard, nous regrettons illico toutes les mauvaises décisions de la veille. Nous arrivons à l’arrêt d’autobus un peu à la dernière minute. Heureusement, celui-ci est vide et nous avons le grand privilège d’avoir chacun notre rangée de bancs.
Pour une raison inconnue, le véhicule tarde à partir et Chantale profite du temps mort pour aller chercher de quoi se mettre dans l’estomac. Évidemment le chauffeur décide de partir à ce moment précis. Jean-Nick court à l’avant en faisant de grands signes pour expliquer au chauffeur qu’il manque toujours un passager… Chantale. Elle arrive quelques minutes plus tard, ignorant qu’elle vient de passer tout près d’allonger un peu son séjour à Siem Reap.
Sitôt l’engin en marche, Jean-Nick s’évanouit pour ne se réveiller qu’à la toute fin du trajet. Chantale, elle, a de la difficulté à garder le mini déjeuner qu’elle vient d’ingérer. Le trajet de trois heures est pénible et on se jure (encore une fois) de ne plus jamais se mettre dans un état pareil.
Arrivés dans la ville de Battambang, le manège se répète. Une armée de chauffeurs de TukTuk attendent l’autobus salivant comme des lions devant un troupeau de gazelles. Ils nous montrent tous des cartons avec des hôtels et des guesthouses et nous proposent de nous y emmener gratuitement. L’un d’entre eux réalise que nous parlons français et essaie de nous charmer dans la langue de Molière. Il nous propose quelques guesthouses dont l’une possède une piscine. Nous rêvions justement d’un endroit où nous prélasser pour combattre le lendemain de veille et la chaleur accablante.
Nous acceptons donc son offre et prenons son TukTuk direction le Lux Guesthouse. Les chambres sont très propres et abordables. La piscine, est dans une villa luxueuse à quelques pas de notre édifice. Nous y avons tout de même accès avec la location de notre chambre. Nous restons donc immergés dans l’eau tout l’après-midi. Remède parfait à la gueule de bois.
Piscine de la Delux Villa
À la fermeture de la piscine, vers huit heures, nous partons découvrir le marché de nuit. Quelques restaurants et petits commerçants sont installés sous des tentes blanches le long de la rivière Sangkae. L’estomac enfin rétabli, nous nous délectons de plusieurs plats locaux accompagnés d’un classique bubble tea. Nous prenons ensuite une grande marche pour revenir au Lux et se coucher.
Le lendemain, nous trouvons sur notre carte un restaurant français dont les critiques sont élogieuses. Certains vont même jusqu’à dire que le Choco l’Art Café serait le meilleur resto de Battambang. Nous décidons d’aller y faire un tour pour déjeuner et planifier nos prochains jours. Devant le commerce on reconnait déjà la touche européenne d’un propriétaire étranger. Les murs sont décorés de toiles originales et un soin particulier a été apporté au choix de mobilier. Les deux français qui possèdent l’endroit sont fort sympathiques et leur bouffe est comme à la maison. Ils font leur propre pain et leur propre yoghourt. Ils utilisent même du vrai chocolat dans leurs chocolats chauds. C’est assez rare dans ce coin du monde. Nous faisons quelques recherches sur la région sur le wifi gratuit du restaurant. Nous découvrons qu’il y a un cirque dans la ville et que par chance il y a une représentation ce soir. Les proprios du Choco l’Art vendent justement des billets. Ça fait déjà ça de réglé. Nous notons quelques autres activités à notre carnet et nous sommes fin prêts à découvrir Battambang.
Une incontournable attraction de la ville est le fameux train de bambou. Nous louons donc un scooter pour nous rendre au départ à quelques kilomètres de la guesthouse. Le « train » n’est en fait qu’une planche de bambou posée sur deux essieux dont l’un est lié à un petit moteur de 6 chevaux par une strap de fan en caoutchouc. La balade n’est pas de tout repos. Nous roulons à 15km/h à travers les rizières sur un vieux rail désaligné en faisant des petits jumps par-dessus les bouts de rail manquants ou endommagés. Ça brasse pas mal. L’expérience atteint son sommet lorsque nous rencontrons un wagon qui s’en vient à sens inverse. Les chauffeurs démontent l’un des deux chariots, laissent passer l’autre et reconstruise le chariot derrière.
Remontage d’un wagon après la rencontre d’un convoit en sens inverse
Le manège dure vingt minutes à l’allé, vingt minutes au retour avec une pose de vingt minutes aussi dans le village de O Sra Lav. L’arrêt au village ne sert en réalité qu’à vendre des trucs aux touristes. Des enfants arrivent de tous les côtés pour nous proposer des bracelets, des breuvages, des chandails, etc. Nous buvons une noix de coco en marchant très brièvement dans le patelin et reprenons la route en sens inverse.
Les enfants courent dans les rues de O Sra Lav
Nous nous dirigeons ensuite vers l’école de cirque Phare Ponleu Selpak. Le nom signifie « Brightness of the Arts ». L’école a été fondé par neuf cambodgiens qui revenaient des camps de réfugiés thaïlandais après le régime de Pol Pot. Ils avaient appris là-bas à vivre leurs traumatismes de guerre à travers les arts et ont voulu aider leur communauté en offrant cette chance aux jeunes de leur région. Le campus contient un chapiteau, des salles de cours et une salle d’exposition mettant en vedette les travaux des étudiants. Nous passons une agréable soirée à regarder les acrobates en herbe faire leurs folies
sous le grand chapiteau aux sons d’un orchestre live et à l’odeur de popcorn sucré.
Galerie d’art exposant les oeuvres d’étudiants
Acrobates au travail
Le lendemain nous avons rendez-vous avec Sam, un étudiant en littérature anglaise complètement amoureux de sa ville. Il organise des escapades à vélo gratuites pour pratiquer son anglais et pour participer à l’essor touristique de sa région. Nous le rejoignons dans son quartier général – qui est aussi la maison de sa tante. Nous louons deux bicyclettes pour 5 dollars chacune et partons à la queue leu leu dans les rues de Battambang.
Pour le premier arrêt, Sam nous amène chez une famille qui fabrique du papier de riz (vous savez, celui qu’on utilise pour faire des rouleaux de printemps). Sam nous explique les étapes de la confection et nous fait participer à la création d’un lot.
Le deuxième arrêt nous emmène chez des fabricants de bananes séchées. Encore une fois, Sam nous explique les procédés et nous invite à participer à la tâche. Les bananes doivent être coupé de façon quasi-chirurgicale en de très minces lanières. Les artisanes locales nous regardent avec un œil amusé alors que nous essayons d’imiter maladroitement leur technique.
Nous qui essayons de faire des belles tranches minces
Les bananes sèchent quelques jours au soleil
Nous reprenons nos vélos pour nous rendre dans une distillerie de whisky de riz. Sam nous y explique que la recette de levure est un secret bien gardé pour chacun des artisans. C’est cette levure qui fait la différence entre les producteurs et qui assure la réputation de certains d’entre eux.
Eh oui. C’est une distillerie
Sam nous emmène ensuite assister à la confection de nouilles de riz. Nous mettons littéralement la main à la pâte pétrissant la pâte de riz en sautant sur un immense pilon de bois. La dame de la maison tourne rapidement la pâte à mains nus entre chaque coup de marteau. On a très peur pour ses petits doigts menus, mais elle semble savoir ce qu’elle fait. C’est néanmoins assez impressionnant. En bonus de l’expérience, on nous sert un délicieux bol de soupe avec les nouilles que nous venons de préparer.
Le prochain arrêt est dans une usine de produits de poisson. L’odeur qui y règne est tout simplement immonde. Des milliers de poissons sont découpés et gisent sur le sol des différentes pièces de l’usine souvent au gros soleil. Les employés s’affairent à leurs tâches comme dans une grosse fourmilière. C’est aussi là qu’on fabrique la très primée pâte de poisson qui se retrouve dans plusieurs plats asiatiques. C’est en fait une grosse gibelotte de poissons qui fermente dans un baril pendant un an. Avec la chaleur d’aujourd’hui particulièrement, tout ça est complètement dégoutant.
La fameuse pâte de poissons
Sam nous emmène ensuite, comme pour nous récompenser d’avoir traversé la visite précédente, chez une femme qui prépare des collations de riz collant. Elle prépare son mélange de riz et le fait cuire directement dans un morceau de bambou. Nous avions goûté à ce met plutôt dans la ville de Kratie, mais c’est intéressant de voir comment on le fait cuire. On s’assoit là quelques minutes à manger des fruits et du riz collant en tube que nous pelons comme une peau de banane.
Sur la route du retour, Sam nous réserve un nouvel arrêt un peu moins léger. Nous stationnons nos vélos près du Well of Shadows, un monument érigé en mémoire des victimes du génocide des Khmers rouges. En mai 1977, l’armée des Khmers Rouges s’est emparé du temple bouddhiste Somrong Knong et l’a transformé en prison. Tout prêt de l’édifice, un puit servait de fosse commune pour empiler les cadavres. Un peu plus de dix mille personnes aurait été sauvagement exécutés dans ces lieux.
La modeste construction de verre met en vitrine des ossements de victimes. La vision est terrifiante. Des bas-reliefs en ciment tout autour du temple relatent les atrocités commises pendant le régime. C’est un moment assez difficile pour tout le monde. Sam nous donne une foule d’informations sur cette période sombre de l’histoire cambodgienne. Nous quittons silencieusement sur nos vélos vers la prochaine destination.
À travers les vitres, on peut entrevoir des os et des crânes des victimes
Gros plan sur les bas-reliefs
Comme dernier arrêt, Sam nous emmène voir un producteur de jus de palmier. Le beau cambodgien athlétique grimpe aux arbres pour y extraire le jus le plus frais qu’on aurait pu espérer. L’allemande qui fait le trajet avec nous est tombé dans l’œil du cultivateur. Il lui fait quelques avances que Sam doit timidement traduire. On rit beaucoup et on rentre en ville sur nos montures.
Trouvez Charlie dans la photo de gauche
De retour chez la tante de Sam, nous parlons de nos plans d’aller visiter les Killing Caves plus tard en journée. Sam se propose pour nous y emmener un peu avant le coucher du soleil pour profiter de la sortie des chauve-souris.
Notre guide Sam qui se rafraîchit avec un serviette de glaces dans le cou
Sam passe nous prendre dans le TukTuk de son ami et nous conduit au sommet du Phnom Sampeau, un endroit magnifique étant devenue le temps de quelques années le théâtre des pires atrocités humaines. Tout près d’un magnifique temple bouddhiste coloré de tableaux de la vie de Bouddha, se retrouve les Killing Caves, des grottes qui servaient, encore une fois, de fausses communes pendant le régime des Khmers rouges.
Les temples bouddhistes d’origine cambodgienne sont faciles à reconnaitre par leur façades colorées…
Et leur intérieurs colorés aussi
Dans ces caveaux, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants ont été jeter et laisser pour morts. Aujourd’hui, les caves ont été nettoyées et les seuls vestiges de ces actes sanguinaires sont une représentation d’un Bouddha couché et une chapelle contenant vêtements et ossements de quelques victimes. Il est possible de descendre dans la plus grosse des grottes et de s’y recueillir. L’atmosphère y est lourde, mais très sereine.
Les victimes étaient frappé à la tête puis jetées dans ces fosses
Nous marchons ensuite parmi une multitude de petits temples suivis par des singes curieux. Il y en a partout où l’on regarde. Lorsqu’on demande à Sam de quel type de singes il s’agit, il nous répond simplement que ce ne sont que des regular monkeys, bien étonné d’apprendre que nous n’avons pas de singes à la maison.
Regular monkeys
Alors que le soleil commence à feindre à l’horizon, Sam s’empresse de nous emmener voir les chauve-souris sortir des caves. Tous les touristes s’agglutinent à l’entrée de la même grotte, mais Sam nous dévoile l’existence de sa grotte secrète. Lorsque notre TukTuk nous dépose à l’écart, nous voyons déjà un flot impressionnant de chauve-souris prendre leur envol du haut d’une colline. Plus nous approchons de l’entrée de la caverne, plus le débit augmente. Des millions de chauve-souris quittent la crypte pour aller tourbillonner dans le ciel en un long voile noir qui disparait vers l’horizon. Le spectacle est à couper le souffle. C’est tout simplement fascinant.
Les chauve-souris quittent les cavernes pour la nuit
Vue de la colline
Il est maintenant temps de rentrer à la guesthouse après une journée extrêmement chargée, tant en découvertes qu’en émotions. Sur la route du retour Sam demande d’arrêter devant son kiosque préféré sur le côté de la route. Il ramène des petits rats grillés pour tout le monde, petite collation avant le souper. Contrairement à celui que nous avons mangé dans la jungle, celui-ci est complètement déshydraté. On mange tout tout tout, la viande, les organes, les os, la queue. Rien n’est laisser pour compte. Contre toutes attentes, ce n’est pas mauvais et ça goûte principalement la sauce BBQ dans laquelle ils ont été cuits.
Appétissant non?
Sam nous dépose finalement devant notre guesthouse. Nous lui donnons un généreux pourboire pour cette journée qu’il a, rappelons-le, généreusement passé avec nous, et nous rentrons à l’hôtel faire un long somme mérité.