Le réveil sonne tôt ce matin, beaucoup trop tôt en fait. La soirée d’hier s’est éternisée bien au deçà du couvre-feu et on cumule à peine quelques heures de sommeil. La minivan qui nous mènera à Nong Kiaw arrive devant la guesthouse. Après une pénible promenade de quatre longues heures, le chauffeur arrête finalement le véhicule. Nous sommes au pieds de magnifiques montagnes desquelles les nuages de cette journée grises couvrent le sommet. La brume feutre l’atmosphère. Il fait presque froid.
On marche à la recherche d’une place où dormir dans cette toute petite ville aux décors grandioses. Notre choix s’arrête sur des bungalows en bambou assez basiques mais confortables avec vue sur la rivière Ou. On s’installe tranquillement et on part faire un tour de piste. On prend le reste de la journée assez relaxe à se balader dans le village pour se remettre des abus de Luang Prabang. Seuls Julie et Alex nous ont suivi. Ils n’ont qu’une vingtaine d’année, mais ne sont pas trop en mode « party every nights! » comme la moyenne des gens de cet âge que l’on croise. C’est probablement ce qui fait qu’on s’entend si bien. Le séjour à Nong Kiaw devrait être plus reposant que les derniers jours. D’ailleurs on se couche pas mal tôt.
Les enfants nous courent après pour jouer avec nous
La journée suivante, nous n’avons rien à l’horaire non plus. On ne se met même pas de cadran. On rejoint Julie et Alex après le déjeuner et on trouve la motivation pour entreprendre la montée du Phadeng peak, un incontournable de la région. Le sentier très abrupt prend environ une heure trente à compléter dans des conditions qui s’avèrent parfois assez difficiles. Nos efforts sont récompensés par la vue que nous offre le sommet plus d’un kilomètre plus haut. Une vue panoramique spectaculaire sur toute la région gratifiée par le soleil qui commence lentement sa descente et qui teinte le ciel de rose et d’orange à son passage. On voudrait y rester pour toujours, par contre l’idée de faire marche arrière dans la noirceur nous sort de la rêvasserie. On termine les derniers mètres à la lueur de nos lampes frontales, mais le pire est déjà derrière.
Petite pause en chemin vers le sommet
Pour célébrer nos exploits, on s’offre un bon souper dans un resto tenu par un expat indien. Au menu poulet au beurre, palak paneer et pain naan. On le sait. On triche un peu, mais ça réchauffe le cœur. En plus demain on part faire une randonnée de trois jours dans la jungle. L’avenir est incertain côté bouffe. Aussi bien en profiter pendant qu’on peut.
On se pointe chez Laos Outdoor vers huit heures du matin et on rencontre nos partenaires pour les prochains jours, deux sexagénaires britanniques, Phil et Linda. Nous faisons aussi connaissance avec notre guide Sitha et ses deux helpers Ken et Along, futurs guides qui doivent apprendre l’anglais d’abord. Le point de départ est à une heure de TukTuk du bureau des ventes. Nous croisons un premier village et Sitha nous y explique certaines pratiques tradionnelles et religieuses du pays.
Rizières traversées en chemin
Nous arrivons à l’aurée de la jungle d’où on entend le ruissellement d’une chute tout près. Nous marchons jusqu’au pied de cette dernière. La route s’arrête net et Sitha nous indique que le chemin demande à ce qu’on monte directement dans les cascades. On escalade les rochers et les troncs cassés, les pieds dans l’eau comme de vrais explorateurs. C’est challengeant, mais pas insurmontable.
On s’arrête sur le côté du ruisseau pour déguster le dîner et reprendre des forces. Sur des feuilles de bananiers fraîchement cueillies, nous sont servies légumes frits, saucissons, omelettes et sticky rice. Un picnic copieux dans un endroit pour le moins surprenant.
Nous continuons notre chemin encore un petit bout dans la rivière mais atteignons la terre ferme rapidement. S’en suit une longue promenade dans les montagnes cuisantes. Le soleil est bien haut et ne projette aucune ombre pour un peu de répit. On s’arrête quelques minutes dans chacune des cabanes de bambou que l’on croise pour reprendre notre souffle. Chaque fois que l’on demande combien de temps il reste à notre guide, il nous sort un chiffre au hasard. Ce qui lui mérite, après un certain temps, le nom moqueur de Lie-Lie (mélange entre menterie en anglais et Lao-Lao). Heureusement, les splendides paysages nous donnent le courage nécessaire pour atteindre notre destination finale de la journée, le minuscule village de Vieng Hin où nous passerons la nuit.
Sitha nous mène jusqu’à une petite cabane de bois et nous présente la famille qui nous accueillera jusqu’à demain. Ça grouille de monde là dedans. Il y a la grand-mère, les parents, leurs enfants, les oncles, les tantes, les voisins… Évidemment personne ne parle l’anglais. Sitha nous sert d’interprète.
Maison où nous passerons la soirée et la nuit
L’homme de la maison nous amène voir une grotte cachée au début de la forêt. Cette grotte a abrité la totalité du village pendant une dizaine d’années lors de la guerre du Vietnam. Les paysans s’y cachaient pour éviter d’être bombardés par les avions américains et sortaient à la nuit tombée pour se ravitailler au village. L’homme raconte qu’il est devenu un soldat à 10 ans, lorsqu’il a eu la force de tenir une mitraillette. Du fond de la grotte, on ne peut qu’essayer d’imaginer une vie sans soleil. L’image donne des frissons.
On revient ensuite au village pour s’y promener un peu. Le hameau ne reçoit que très peu de visites des étrangers. On nous scrute du regard. On se promène en saluant les villageois enthousiastes. On joue à cache-cache et à la toupie avec les enfants. Tous le monde semble heureux de nous rencontrer.
Ce sera bientôt l’heure de souper. On revient donc à la maison guidé par l’odeur du repas qui cuit sur la braise. Pour nous souhaiter la bienvenue, nos hôtes prépare rituel kamu. On place sur une table basse un poulet bouilli, une sculpture en feuille de bananier, un bol d’argent, une chandelle, des verres de Lao-Lao et un paquet de bouts de ficelle blanche. Plusieurs villageois se joigne à nous dont le doyen du patelin, nécessaire à la cérémonie. On s’agenouille tous autour de la table et on pose le bout des doigts dessus. Le doyen entame une prière animiste nous souhaitant bonheur, santé, prospérité. Chacun des villageois répètent la prière en nouant les petites cordes aux poignets de chacun des invités. Le tout dure une quinzaine de minutes. Ensuite, on pige des billets de banque dans un bol en bambou pour la chance. Enfin, pour terminer la cérémonie tous les convives se partagent une bouteille de whisky à grands coups de shooters. Ce fut un moment étrange, mais fascinant que l’on a vécu avec une grande humilité.
En attente des villageois pour commencer la cérémonie
On mange ensuite le poulet bouilli coupé en morceaux accompagné d’une multitude de plats locaux. Tout le monde se régale. Sitha ouvre une nouvelle bouteille de Lao-Lao, mais celle-ci contient d’immenses abeilles. Selon les croyances laotiennes, lorsqu’un insecte venimeux macère dans le Lao-Lao, il rend celui qui le boit plus fort et plus vigoureux au lit. On pile tous un peu sur notre dégoût pour ne pas insulter nos hôtes et on trinque à notre santé.
Coin cuisine de la maison
Après le souper, Sitha nous apprend son jeu de carte favori. Quoi de mieux pour digérer un repas copieux qu’un jeu de carte ou le perdant boit un shot de whisky. Il fallait bien finir la bouteille! On joue environ une heure, mais personne ne veut être trop mal en point demain pour les neuf heures de marche à faire. On se couche donc très tôt. Non sans avoir un petit feeling. Ça aidera sûrement à mieux dormir dans ces conditions particulières. Comme de fait, notre sommeil est interrompu maintes fois par les bruits nocturnes environnants. Fait intéressant; contrairement à la poétique croyance populaire, les coqs n’attendent jamais le lever du soleil avant de se lancer dans les montées lyriques.
On se regroupe à sept heures le lendemain matin pour déjeuner aux omelettes. On a aussi la chance d’avoir une petite leçon d’histoire de la part de notre hôte. Il nous parle un peu plus de la guerre secrète qui sévissait au Laos pendant la guerre du Vietnam. Il répond à toutes nos questions sans réserve et c’est super enrichissant. On découvre un autre côté de la médaille des récits de guerre américains contre les méchants Viet Cong.
Pour déjeuner, rien de moins que 5 oeufs par personne
Pour remercier Sitha, la famille lui offre un bébé poulet que l’on nomme affectueusement Lie-Lie tout comme son nouveau propriétaire. Il fera maintenant partie de l’expédition. On attache ensuite nos souliers de marche serrés et on part pour une sacrée longue journée. Les premiers kilomètres du sentier sont assez difficiles. Il fait très chaud et le chemin monte sans arrêt. La vue quant à elle est superbe. On est vraiment au milieu de nul part presqu’au sommet des montagnes. C’est avec ça qu’on arrive à se consoler. On se fait un petit picnic à mi-chemin. Encore une fois sur des feuilles de bananier, Sitha nous offre du poisson en conserve et des légumes frits que l’on mange avec les doigts dans des petites boules de sticky rice. Le goût est franchement meilleur que le visuel. Un peu plus tard sur la route, on croise un arbre à pomelos, espèce de gros pamplemousses à chair blanche. Sitha et ses acolytes lancent des roches dans l’arbre pour en faire tomber les fruits. Ces agrumes juteux font une parfaite collation pour les randonneurs que nous sommes.
Sitha qui nourrit Lie-Lie
On ouvre les pomelos avec les moyens du bord
Ensuite, puisque tout ce qui monte redescend, les deux heures suivantes sont dans une interminable côte descendante particulièrement abrupte. On glisse souvent sur des roches et les feuilles mortes au sol. Le moral des troupes descend en même temps que notre altitude. Personne ne s’attendait à une piste aussi rock’n’roll. Enfin de retour sur le plat, nous passons dans des villages où les enfants nous courent après pour jouer. Voyant que le rythme avait ralenti, Sitha réussi à dénicher un paysan assez sympathique pour nous déposer quelques kilomètres plus loin. On voit alors un drôle de tracteur retentir. Nous montons tous dans la charrette en bois et partons sur un chemin de terre cahoteux qui nous brasse pas mal, mais nous fait économiser une bonne heure de marche. De retour sur nos pieds, nous complétons le trajet avec une dernière demi-heure. Ça y est, au bout de 9 heures de trekking nous apercevons le bateau qui mettra fin à notre épreuve. Plus de marche à partir d’ici, nous flotterons jusqu’à la terre promise. Nous accostons dans le village Muang Ngoi. Notre guesthouse chez Ning Ning est un vrai baume sur nos plaies. La chambre est immense et on a de l’eau chaude. Un luxe assez rare dans le coin. Nous sortons rapidement pour rejoindre les autres au resto du même nom. On passe la soirée à boire quelques Beerlao et à montrer des nouveaux jeux à Sitha. Nous dormons comme des bébés dans notre grand lit king. La nuit est vraiment réparatrice.
Cette « charette » s’avère être un moyen de transport très populaire au Laos
Coucher de Soleil sur Muang Ngoi
Le lendemain on visite un peu les rues de Muang Ngoi et on goûte à quelques classiques de bouffe de rue Laotienne. On voit aussi plusieurs maisons sur lesquels sont utilisé des vieux obus de façons très créatives. Décorations, clôtures, bac à fleurs, lampes, les habitants du pays le plus bombardé du monde ne manque pas d’imagination pour transformer ces objets de destruction en pièces artistiques.
Les matins au nord du pays sont assez frisquet, La tuque est de mise
Nous reprenons le bateau pour voguer plus au nord vers Ban Vattanatam. Un petit village reconnu pour ses tissages de grande qualité. En arrivant, nous somme justement accueilli par les tisseuses qui étalent leurs confections devant leur demeure. Sitha nous mène jusqu’à une école primaire où l’on joue à Ped-Kai (Canard-Poulet) avec les élèves. Nous sommes tous assis en rond et un joueur debout marche derrière et dit Ped en touchant chacun des autres joueurs. Si par contre, il dit Kai en vous touchant, vous devez vous lever et l’attraper avant qu’il ne fasse le tour du cercle et qu’il ne vienne reprendre votre place. On rit beaucoup avec les jeunes. On essaie ensuite de leur apprendre des chansons en anglais, mais l’exercice s’avère un lamentable échec.
Classe de 2e année primaire
Jeu de Ped-Kai avec les enfants de 1ère année
Nous terminons la visite du village avec un bon repas de poulet bouilli très très fraichement tué. On assiste même au déplumage en direct de la bête. On mange l’animal avec une soupe, des légumes et bien évidemment du sticky rice.
Nos trois guides nous préparent le dîner
Après avoir fait le plein d’énergie, le groupe se divise en deux. Les britanniques partent avec Ken et Along en bateau car ils ont un bus à attraper en fin de journée. Pour notre part, nous entreprenons le retour à Nong Kiaw en kayak avec Sitha. Nous avons beaucoup travaillé nos jambes lors des derniers jours. C’est le temps de faire travailler les bras un peu. Nous naviguons tranquillement sur la Nam Ou au creux des montagnes en arrêtant souvent de pagailler pour prendre des photos. Il fait très chaud sous le soleil. On met environ deux heures avant d’atteindre la terre ferme à nouveau incluant quelques minutes pour une baignade rafraîchissante.
Sitha, Lie-lie (dans la cage), Jean-Nick, Chantale, Ken, Phil, Linda et Along
Nous profitons ensuite d’un massage gratuit offert par la compagnie de trekking. (I know right!) Un salon de massages est situé dans la même maison. On nous demande d’enfiler des tenus hippiesques et nous recevons un massage Laotien. Similaire au massage Thai, mais en bien moins rough.
Pour finir la journée en beauté, nous invitons Sitha et ses amis à nous joindre pour souper où nous rejoindrons à nouveau Julie et Alex. Surpris et enchanté par la proposition, il nous invite à prendre l’apéro avant de quitter pour le resto. On s’assoie alors en rond devant la shop et on boit du Lao-Lao tour à tour jusqu’à voir le fond de la bouteille. Sacré Laos!
Sitha nous amène dans un resto que seuls les Laotiens fréquentent. Nous avons le droit à de la bouffe locale succulente à une fraction du prix pour touristes. Pour étirer la soirée, nous dirigeons tout le régiment vers un bar de karaoké. Encore une fois peuplé que par des locaux, le bar n’a pas l’habitude des touristes. Le choix de chansons pour nous est assez limité. Les Laotiens s’époumonent sur des chansons un peu quétaines dans lesquels il semble toujours y avoir des peines d’amour déchirantes si on en croit l’écran qui montre les vidéoclips. Nous finissons tout de même par chanter quelques classiques de notre continent comme Hotel california, My heart will go on et My humps des Black eyed peas. La soirée se termine avec la tombée du couvre-feu. Et nous rentrons au bureau des ventes de la compagnie de trekking qui ajoutait aussi deux lits à toute cette aventure.
Jean-Nick, Chantale, Julie, Alex, Sitha, Sabou (le gérant de la compagnie de trek) et Ken
Sitha et Ken au karaoké